Comment tu me parles ?! // Camille Riquier, Claire Marin et Étienne Bimbenet
01/08/2024
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Certains chercheurs ont pu établir, avec des méthodes certainement sérieuses, que, lors d’une conversation entre deux personnes, ce qui est explicitement dit compte relativement peu dans ce qui est signifié (10, 20 %), et beaucoup moins, en tous cas, que le langage corporel (50 %), qu’on ne maîtrise guère, ou le ton de la voix (30 %), lequel peut transmettre des informations psychologiques qui dépassent, déforment, annihilent ou renforcent le message verbal. C’est la raison pour laquelle, ne comprenant strictement rien de la langue qu’utilise une personne qui s’adresse à nous, on comprend quand même quelque chose de sa manière d’être, de son état émotionnel, son désarroi, sa gaîté, etc. Le ton, qui module la voix en hauteur, en intensité et en timbre, est en lui-même un signifié, et modifie ou module, comme le font aussi l’accent, le rythme, le débit, toute la communication orale. Le ton ne se réfère pas seulement au son de la voix, mais à la manière de parler et à la façon dont s’expriment les sentiments ou les états d’âme : un ton doctoral ou moqueur n’a rien à voir avec la musicalité vocale, et si on prie un interlocuteur de « changer de ton » ou de « baisser d’un ton » on ne lui demande pas de passer d’un do à un si bémol, mais d’être moins agressif ou arrogant, de rabattre ses airs de supériorité. « C’est le ton qui fait la chanson », dit le proverbe, qui s’entend aussi sans musique : c’est la manière dont on exprime les choses, le ton que l’on prend pour les dire qui dénote les véritables intentions de ceux et celles qui se parlent. Dans la conversation sociale, depuis quelques années – en partie à cause des messageries instantanées et des réseaux sociaux, qui, dans la recherche continue du buzz, exigent de vociférer pour se faire entendre – le ton a changé, comme si le durcissement des échanges politiques, le fréquent passage de la revendication à l’action violente, l’éco-anxiété, les conflits armés, la précarité économique, l’incivilité diffuse, etc. avaient déteint sur le langage lui-même, de plus en plus envahi d’invectives, de moins en moins armé d’argumentations, et, bien évidemment, sur le ton – lequel se « hausse » à mesure qu’il devient plus difficile de « se parler ».
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