
Pendant des décennies, les manuels de neurosciences ont enseigné que la perte d’un membre déclenchait une réorganisation majeure du cortex somatosensoriel : la zone cérébrale correspondant au membre amputé serait rapidement colonisée par les zones voisines — par exemple, celles de la bouche ou des lèvres. Cette théorie s'appuyait sur des travaux historiques chez les primates et des observations post-amputation chez l’humain.
La percée : une étude longitudinale et inédite
Ce paradigme s’effondre avec une étude rarissime — longitudinale — menée sur trois participants devant subir une amputation de la main. Les chercheurs leur ont fait passer des IRM fonctionnelles (fMRI) avant l’opération, puis jusqu’à cinq ans après, en leur demandant de bouger leurs doigts ou de presser leurs lèvres, y compris en effectuant des mouvements fantômes.
Résultats étonnants : permanence du corps cortical
Les résultats sont renversants : les cartes cérébrales (représentant mains et lèvres dans le cortex somatosensoriel) restent pratiquement identiques, même plusieurs années après l’amputation — sans aucune invasion par les zones voisines. Une participante, scannée cinq ans après, présentait toujours la même organisation neuronale.
Pourquoi c’est révolutionnaire
- Renversement d’un dogme : L’étude remet en cause l’idée selon laquelle le cerveau adulte se réorganise rapidement après une amputation — un pilier de la science depuis plus de cinquante ans.
- Un protocole méthodologique fort : Grâce à sa conception avant/après, elle surmonte la limite méthodologique des études antérieures, qui comparaient uniquement des amputés à des personnes valides.
- Explication des douleurs fantômes : Le maintien de la représentation cérébrale de la main amputée explique pourquoi les douleurs ou sensations fantômes persistent : le cerveau « sait » encore que la main existe.
Perspectives thérapeutiques inédites
- Neuroprothèses et interfaces cerveau-machine : Comme la carte cérébrale reste stable, les prothèses alimentées directement par l’activité cérébrale — ou interfaces cerveau-machine — peuvent exploiter cette cartographie persistante, même longtemps après l’amputation.
- Révision des traitements contre la douleur fantôme : Plusieurs thérapies actuelles (ex. miroir) visent à « réparer » une carte cérébrale supposément réorganisée. Mais ces résultats suggèrent qu’on se trompe de cible : il faudrait plutôt s’attaquer à des mécanismes périphériques ou autres réseaux neuronaux, et repenser l’approche clinique.
Conclusion
Cette étude marque un véritable tournant pour les neurosciences du corps et de la plasticité cérébrale. En démontrant que le cerveau ne réorganise pas massivement ses cartes sensorielles après amputation, elle dissipe un mythe établi et ouvre la voie à des traitements plus ciblés et efficaces, tant pour les douleurs fantômes que pour les technologies prothétiques. La permanence de ces cartographies offre une base robuste et durable sur laquelle s'appuyer pour améliorer la prise en charge des millions de personnes amputées à travers le monde.
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